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[2] Un-e jeune sur cinq ne maîtrise pas assez la langue écrite

La recherche en éducation et les enquêtes internationales montrent qu'il ne suffit pas d'être scolarisé pour apprendre vraiment à lire, écrire et compter. PISA a par exemple rappelé qu'entre 56% (Mexique) et 94% (Corée) des élèves de l'OCDE sont capables d'effectuer des « tâches de lecture élémentaire » à 15 ans. Les autres savent peut être déchiffrer et localiser une information, mais ils n'accèdent pas au sens du texte, à sa compréhension. En France, l'Observatoire national de la lecture considère qu'un jeune sur cent est en situation d'analphabétisme (il ne parvient pas à déchiffrer), 3% lisent des mots isolés, 4% des phrases seules, 12% des textes courts et simples. Pour les chercheurs, cela représente un total de 20% de lecteurs précaires, dont 12% en situation d'illettrisme, d'« exclusion en puissance ». A Genève, on estime que 8% des adolescents ont des « compétences très faibles en lecture ». Quelle que soit l'échelle et le niveau de référence, tout le monde s'accorde sur un point : on ne peut pas se résigner à cette situation. C'est sur les causes et les moyens que portent plutôt les discussions.

D'abord les causes : d'où viennent les difficultés ? On ne les résoudra pas en se trompant de diagnostic. Faut-il incriminer l'école, les parents, la société ? Les méthodes de lecture, la télévision, les sms, un monde de plus en plus pressé, assoiffé de sons et d'images plutôt que de lettres classiques et d'écriture manuscrite ? Le monde change, c'est un fait. Mais est-ce vraiment le niveau qui baisse ou nos exigences qui ne cessent d'augmenter ? 45% des recrues françaises savaient déchiffrer en 1830. 85% en 1880, 96% en 1912, 99% aujourd'hui. Le progrès est bien là, mais il ne comblera jamais des attentes qui augmentent avec lui. Plus de 40% des élèves genevois de 10 ans ont le français pour deuxième langue, l'allemand pour troisième et bientôt l'anglais pour quatrième ! Cela fait quatre fois plus d'orthographe, de vocabulaire et de conjugaison à apprendre qu'à l'époque de leurs grands-parents. Ajoutez l'informatique, l'éducation aux médias, à la citoyenneté, à l'environnement, au développement durable, au fait religieux, etc. L'honnêteté force d'admettre que le problème n'est pas d'arbitrer le match entre les générations. C'est notre difficulté grandissante à fixer des priorités, à ne pas prendre nos fantasmes pour la réalité (« Un peu d'exigence : tous quadrilingues à 15 ans ! »), à ne pas mettre les élèves les plus faibles en situation objective d'être éliminés. Si la lecture est vraiment vitale, pourquoi faire redoubler des années complètes aux élèves en difficulté, leur faire répéter des centaines d'heures de mathématiques, de géographie ou d'éducation physique au lieu de les prendre en charge de manière différenciée ? Les systèmes les plus efficaces ajustent leurs moyens parce qu'ils sont clairs sur la hiérarchie des fins.

Quels sont ces moyens ? Variés, forcément. Appuis ponctuels, soutien ciblé, groupes de besoin, modules intensifs, tutorats, projets individuels et collectifs. Méthodes et manuels, livres et journaux, albums et encyclopédies, sites Internet, bibliothèques et centres de documentation. On peut apprendre à lire (et à écrire) en étudiant les lettres, les syllabes et les mots, en écoutant et racontant des histoires, en apprenant des poèmes, en rédigeant des recettes, des cartes d'invitation, des articles de presse, des comptes rendus d'expérience, etc. Pourquoi se battre sur la méthode idéale ou une meilleure pratique à généraliser, alors qu'il s'agit justement de trouver une solution pour les élèves qui ne réussissent pas dans la pédagogie standard ? Les recherches démontrent que les maîtres réussissent en combinant les entrées. Réduire l'apprentissage de la lecture à n'importe quelle panacée - de l'« immersion textuelle » à la répétition sans fin du « b-a-ba » - est la meilleure façon d'entretenir un seuil incompressible d'échec scolaire. Quand l'enseignement est supposé parfait, l'élève qui n'apprend pas est dans son tort : il n'est « pas motivé » ou « pas doué » pour la lecture. C'est une fatalité dont ni l'école ni les parents ne peuvent s'extirper. Une bonne raison, en somme, de démissionner.

On peut bien sûr prétendre - avec ceux qui veulent refaire l'école - que « tout le monde ne peut pas atteindre la même somme et la même base de savoir à 15 ans ». Mais dans ce cas-là, le consensus initial est brisé : admettons que les écarts sont nécessaires et félicitons-nous que PISA les entérine in fine ! De deux choses l'une, en effet : soit on fixe l'incontournable, et on adapte les moyens pour l'atteindre ; soit on postule d'emblée l'inégalité, et l'école à deux vitesses n'est plus le problème mais une prophétie qui n'a plus qu'à se réaliser... Il n'y a pas de notes sans mauvaise note : si nous tenons à maintenir une dispersion, ne changeons rien à nos modes d'évaluation. Et laissons les Finlandais niveler par le haut.

Former sans exclure, janvier 2006

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Le volet suisse de l’enquête PISA (Service de la Recherche en éducation, Genève) – Performances des élèves dans le domaine de la littératie (compréhension écrite, mathématiques, culture scientifique) – Définition des cinq niveaux de compétence en compréhension de l’écrit | html

Bien lire (Ministère de l'éducation nationale, France) – Qu'est-ce que lire et écrire ? - L'apprentissage de la lecture - Pluralisme des méthodes | html

Sciences cognitives, neurosciences et enseignement de la lecture (Roland Goigoux, sur Education et devenir) – Syllabique, globale ou mixte ? - Les méthodes efficaces sont combinées, pluralistes, intégratives - Les enjeux : formation des enseignants, communication famille-école | html

Lire et écrire : un droit ! (Association Lire et Écrire – Suisse Romande) – L’écriture et la lecture ne se transmettent pas mécaniquement. – Apprentissage du code, des techniques et démarche d’insertion sociale – Importance du désir d’apprendre, des compétences didactiques et pédagogiques. – Situation de recherche et de construction du savoir | html

Les étudiants lisent encore ! par François de Singly (Sciences Humaines, n°161, juin 2005) – Les étudiants lisent beaucoup, pour le travail et les loisirs – Les « nouveaux publics » lisent toujours plus que leurs parents – Livres, journaux, notes de cours, documents, Internet : les pratiques évoluent et se diversifient – Le déclin du savoir : un diagnostic erroné – Ce qu’il faut plutôt interroger : le travail pédagogique, la culture contemporaine, les moyens de la mettre à disposition | html