Parier sur la durée et l'intelligence plus que sur le court terme et l'invective

A La Tribune de Genève, 1er juin 2007
Jean-Marie Delley, Genève

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Le rôle de l'enseignant consiste-t-il vraiment exclusivement à enseigner en diffusant son savoir ? N'est-il pas également de sa responsabilité de faire tout son possible pour que ses élèves apprennent ? Certains, comme M. Romain, semblent convaincus que le "don d'enseigner", d'essense quasi divine, leur suffit à garantir que les élèves acquièrent les savoirs fondamentaux qui leurs sont aujourd'hui indispensables pour trouver leur place dans la société. Mais cela est faux, et conduit invariablement de trop nombreux élèves à abandonner toute ambition scolaire et à rester sur le bord de la route. Le métier d'enseignant évole, l'école évolue, la société évolue.

Utiliser la peur du changement, vouloir figer ces processus dynamiques, faire croire que le retour en arrière est la solution, prôner sanctions et classements comme bases de l'action éducative, c'est prendre une grande responsabilité et induire en erreur ceux qui se laissent prendre à ce discours réactionnaire. Peur et repli sur soi sont ennemis de l'éducation et de l'épanouissement. Bien sûr qu'il ne s'agit pas de tomber dans l'angélisme et le laisser-aller, mais pourquoi ne pas cesser enfin ce combat et ces diatribes qui transforment l'école en champ de bataille ? Faut-il vraiment promouvoir une vision manichéenne du monde et de l'éducation, opposer et trancher entre savoirs et compétences, transmission et construction, évaluation formative et sommative, droits et devoirs, réformes et immobilisme ? Les enquêtes PISA ont pourtant montré que les systèmes scolaires pacifiés, ceux qui ont la confiance des citoyens, parents, élèves et enseignants, sont les plus efficaces. Et ceux qui sont sur le terrain savent bien que la réalité, ou plutôt les réalités, sont plus complexes et obligent à la diversité des approches et des méthodes.

Pourquoi, plutôt que de railler systématiquement les initiatives du DIP, ne pas s'investir pour une vraie réflexion sur les responsabilités respectives des différents acteurs engagés dans un système éducatif : des politiques qui fixent les cadres de référence plutôt que de prendre l'école en otage, des administrations qui fournissent les outils à tous pour atteindre les objectifs et qui évaluent les résultats plutôt que de réglementer chaque détail, des enseignants responsables à qui on fait confiance, qui acceptent le regard des autres sur leurs pratiques, et des élèves qui ont intégré leurs droits et devoirs ? Il y a plusieurs décénies, un pays a décidé de travailler ainsi, sérieusement, consensuellement et sur la durée pour construire un système éducatif cohérent. Cela a pris plus de 20 ans. Aujourd'hui, ce pays, la Finlande, obtient les meilleurs résultats dans tous les domaines d'étude. Pourquoi ne pas s'inspirer de cette démarche ? Qui aura aujourd'hui le courage de parier sur la durée et l'intelligence plus que sur le court terme et l'invective ?