Une école qui progresse pour faire progresser tous les élèves

L'Educateur, 25 mai 2007
Ivan Schmidt, Président de Former sans exclure, Genève

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Comme tous les participants au débat sur l'école publique, nous sommes préoccupés par la question de l'échec scolaire. Tous sont d'accord sur le fait qu'il faut le combattre et que l'école doit améliorer ses résultats. Les divergences qu'on peut constater portent donc plutôt sur la manière de mesurer l'échec scolaire ou sur les moyens à mettre en œuvre pour le réduire, voire le supprimer. Nous ne prétendons pas faire ici la liste des remèdes miracles auxquels il faut recourir, mais plutôt faire partager notre questionnement, basé sur les 3 piliers de notre manifeste, signé à ce jour par environ 1'500 personnes (www.former-sans-exclure.org).

Garantir une culture de base

De plus en plus de politiciens et d'enseignants évoquent le concept de socle commun de compétences, qui devrait être acquis par tout le monde au cours de la scolarité obligatoire. Il semble en effet incontestable qu'une partie de l'école est obligatoire car certaines compétences qu'elle permet d'acquérir sont nécessaires à tous. Mais les problèmes apparaissent lorsqu'on tente de définir le contenu de cette culture de base. S'agit il de savoirs utilitaires élémentaires comme " lire, écrire, compter " ou de connaissances culturelles plus vastes ?

La question est sans doute mal posée, car il ne suffit pas de dire par exemple qu'il faut savoir lire. Il faut encore préciser dans quelle(s) langue(s) et quel(s) type(s) de texte on veut lire (journaux, littérature, ouvrages spécialisés dans l'informatique, etc.). De même, " compter " ne se limite pas pour nous à apprendre par cœur les tables de multiplication, mais aussi à être capable de les utiliser à bon escient pour résoudre des problèmes.

Une hiérarchisation des savoirs est nécessaire, car elle permet d'établir des priorités. En médecine, on s'occupe d'assurer les fonctions vitales avant de soigner les égratignures. A l'école, il paraît évident pour tout le monde que la lecture est indispensable à l'obtention de la plupart des autres compétences. De plus, les choix faits sur les contenus essentiels ont une influence sur les résultats des élèves. C'est donc un moyen de lutter contre l'échec scolaire en amont.

Mais qui devra prendre les décisions permettant de délimiter la culture de base ? Elles devraient faire l'objet d'un consensus, pour que l'école publique puisse travailler dans la sérénité qui est une des conditions sine qua non de sa réussite.

Le débat est difficile, mais indispensable. Car à quoi servirait-il de se mettre d'accord sur des moyens si on n'est pas sûr de fixer les mêmes priorités et objectifs d'un canton à l'autre, ou dans le même canton ?

Affirmer l'éducabilité de tous

On ne peut pas, comme le font certains, à la fois s'indigner que 20% des élèves soient en échec (selon les études PISA) et affirmer qu'un certain taux d'échec est fatal car tous les élèves n'ont pas les mêmes compétences. Nous affirmons que tous les élèves ne sont pas capables d'atteindre le même niveau dans toutes les disciplines, mais que tous sont capables d'apprendre et de progresser. Il ne s'agit pas d'affirmer que tous peuvent aller à l'Université, mais qu'il ne faut pas renoncer à faire avancer tous les élèves sous prétexte que certains ont trop de peine à suivre le rythme imposé.

Lors d'un débat publié dans la Tribune de Genève du 7 juin 2005, François Truan, qui était Président de l'association ARLE, me disait : " Tout le monde ne peut pas sauter un mètre quatre vingts. Tout le monde ne peut pas atteindre la même somme et la même base de savoirs à 15 ans. " Notre point de vue est que ce n'est pas la hauteur à laquelle on peut sauter qui peut être identique pour tous les élèves, mais le fait d'utiliser une des techniques qui permet à tous les sauteurs d'améliorer leurs performances.

Nous pensons que l'intelligence n'est pas innée et réservée à une élite. Au contraire, elle peut se développer et, quel que soit son type et son niveau à un moment donné pour un élève, elle lui permet d'apprendre. Encore faut il que l'élève et l'enseignant en soient persuadés et que l'on mette tous les moyens possibles en œuvre pour atteindre l'objectif. En effet, tous les élèves n'apprennent pas de la même façon et au même moment.

C'est plus exigeant. Pour les élèves qui ne doivent pas se résigner. Pour l'école qui doit moins sanctionner les erreurs qu'imaginer d'autres moyens de les corriger. Et pour le reste de la population, appelée à soutenir les enseignants d'au moins deux façons : d'abord en reconnaissant la complexité de leur travail et en se fiant à leur expertise, leur déontologie, leur usage critique de la recherche en éducation ; ensuite en assumant avec eux ce renversement : chercher comment progresser avec chaque enfant, et non pas lequel mal noter, retarder ou priver de la partie la plus noble des savoirs scolarisés. Former sans exclure est un projet de société : il engage forcément toute la collectivité.

Exclure l'exclusion

Pour élever le niveau, il faut d'abord croire qu'il peut monter. Lorsqu'un élève échoue, il faut penser qu'il peut apprendre, pour peu que l'école et la société qui la porte se donnent les moyens de cette priorité. Fixer le savoir qui vaut. Y mener tous les élèves. Quand l'un échoue, l'aider de manière ciblée et sans délai, comprendre l'erreur (au lieu de la chiffrer), fournir un soutien personnalisé (au lieu de refaire toute l'année), différencier les méthodes (et non des filières séparées), contrôler les effets des innovations (et pas décréter qu'elles sont bonnes ou mauvaises par définition).

Pour lutter contre l'échec scolaire, nous pensons donc qu'il faut éviter les notes servant à classer, sur lesquelles on calcule des moyennes afin de décider si l'élève doit redoubler son année. La note classement, c'est celle des concours de gymnastique. Quand Nadia Comaneci n'obtient que des 10 à Montréal en 1976 (le niveau monte !), on réforme tout le système de notation pour obtenir une dispersion. À l'école, c'est autre chose : si l'évaluation doit informer de la distance à l'objectif visé - et que cet objectif est visé pour tous -, elle peut être bonne pour tout le monde, ce qui en fait une appréciation.

Si vous ne cherchez plus à classer, mais à soutenir l'apprentissage avec précision, vous renoncez aux moyennes qui cachent les détails et nivellent les résultats par le bas. En effet, elles découragent les élèves ayant fait un mauvais départ, tout en poussant les élèves ayant obtenu des bonnes notes à se relâcher pour les suivantes puisqu'une moyenne minimale suffit pour ne pas être en échec. Tous ces élèves progresseront donc moins vite que leur potentiel le leur permettrait.

Enfin, le redoublement intégral et mécanique a deux inconvénients : il laisse " passer " des élèves moyens avec des lacunes avérées (voire revendiquées lorsque de bons élèves se contentent de viser la moyenne minimale !) et il fait refaire toute une année aux élèves faibles, les obligeant à attendre une année pour retravailler sur leurs difficultés et à perdre du temps à retravailler aussi sur ce qu'ils ont déjà acquis. Nous nous sommes aperçus que c'est peut être ici la question clef : celle du délai d'attente entre l'identification d'un manque et la prise en charge de l'élève en difficulté. Le redoublement est trop tardif et non ciblé : c'est insuffisant. Les cycles longs ne sont pas utiles parce qu'ils repoussent le moment fatidique de la régulation, mais parce qu'ils autorisent (voire demandent) une autre organisation du travail dans les écoles, pour que l'élève soit sans cesse stimulé en fonction - on y revient - de priorités bien hiérarchisées, donc d'objectifs à propos desquels on ne va pas déroger.

En ce qui concerne les filières séparées, nous les rejetons car des études ont montré que les pays qui y ont renoncé obtiennent de meilleurs résultats moyens. En effet, leurs meilleurs élèves obtiennent d'aussi bons résultats et la différence se fait sur les élèves les plus faibles. Car si on est relégué lorsqu'on est en échec, on développe une moins bonne estime de soi. Ce qui va rendre plus difficile toute remédiation, augmentant donc l'écart aux objectifs. C'est un cercle vicieux dont très peu d'élèves en échec arrivent à sortir.

Il y a d'un côté ceux qui disent qu'il faut commencer par exclure et que sous cette menace nous démocratiserons l'éducation. Nous pensons qu'il faut d'abord inclure et que c'est de cette contrainte que découlent les solutions. Ce n'est pas le même projet. Les hôpitaux soignent d'abord : ils ne renvoient pas chez eux les malades qui guérissent trop lentement. Pour les médecins, c'est une complication. C'est aussi le moyen d'apprendre, de développer de nouvelles compétences et de respecter au passage le droit universel aux soins médicaux. Notre manifeste demande la même chose pour l'éducation. Est ce utopique ?