Genève à l'avant-garde du retour en arrière ?

A la Tribune de Genève, 5 septembre 2006
Monica Gather Thurler, Genève

---

Que diriez-vous si votre chirurgien vous informait la veille de votre opération que l'hôpital lui a enjoint d'oublier la nouvelle technique prévue pour vous poser une prothèse de la hanche, pour revenir à l'ancienne méthode, certes beaucoup plus longue à guérir, mais moins coûteuse, moins exigeante ? Ou si les réfractaires aux nouvelles technologies de la communication parvenaient à interdire Internet et les téléphones portables ? Tout changement peut présenter certains inconvénients, surtout au début, chacun le sait. Est-ce, dans le domaine médical ou technologique, une raison de ne pas avancer au gré de l'évolution des connaissances ?

Or, l'ouverture au changement dans ces domaines contraste avec la résistance d'une partie importante de nos contemporains à toute évolution dans le monde scolaire. Comme si l'école relevait de la tradition plutôt que de la raison, comme si l'essentiel était que la réalité d'élève de nos enfants ressemble à celle que nous avons connue à leur âge. Le canton de Genève a été, durant plus d'un siècle, un phare en matière d'innovation scolaire, sur le plan national et international. Il pourrait devenir un musée, avec un système éducatif revenu au 19e siècle, à la manière de ces villages médiévaux reconstitués pour l'édification des touristes.

Ce rêve de restauration d'un ordre scolaire aussi ancien que mythique risque en effet d'amener Genève, au lendemain des votations du 24 septembre, à travailler au sein de structures d'hier pour résoudre les problèmes de demain. Alors que dans le même temps, d'autres systèmes ont compris qu'il n'est plus possible aujourd'hui d'exclure les plus démunis, que l'école ne pourra réaliser offrir un avenir à tous ses élèves qu'en s'ouvrant au progrès et aux avancées de la recherche.

La rénovation de l'enseignement primaire, amorcée en 1995, est aujourd'hui accusée de tous les maux par celles et ceux qui n'ont jamais vraiment pris la peine de comprendre ses finalités ni ses modalités de mise en œuvre. Or, elle visait justement à combattre l'échec et devait aboutir à une réforme très proche des modes de fonctionnement de la Finlande, ô combien de fois citée en exemple par les détracteurs de la réforme genevoise. La Finlande a compris il y a longtemps que le redoublement et la sélection ne sont pas des solutions, qu'ils ne font que renforcer les écarts entre les bons et moins bons élèves, alors qu'il est important de les amener tous à développer les savoirs et les compétences nécessaires pour affronter la vie. On y a favorisé la différenciation, remplacé depuis longtemps les notes par une évaluation formative centrée sur la progression des élèves, misé sur la professionnalisation des métiers de l'éducation, étroitement articulé développement de la qualité et nouvelles connaissances didactiques et pédagogiques. On y a mis en place des structures scolaires qui prennent au sérieux les besoins tant des élèves, que des enseignants, on y a accordé une autonomie partielle aux établissements scolaires, on a fortement invité les professeurs à collaborer avec les parents.

La réforme genevoise allait dans le même sens. C'est pourquoi je voterai 2 x NON, espérant qu'une majorité de concitoyens prennent conscience que l'école mérite d'être au moins aussi bien traitée que d'autres institutions de notre société.