L'exclusion est le problème, pas la solution
3 raisons de dire 2 x NON

Le Courrier, 22 août 2006
Yann-Eric Dizerens, Genève

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La population genevoise va devoir voter sur deux textes presque interchangeables : l'initiative pour le maintien des notes à l'école primaire et le contreprojet des partis de l'Entente. Il faut rejeter ces deux textes en votant deux fois non pour au moins trois raisons :

Un modèle qui a montré ses limites

Les deux textes veulent lutter contre l'échec en reléguant les élèves en difficulté. C'est injuste et absurde : l'exclusion est le problème, pas la solution ! La société a évolué. Le niveau ne baisse pas : ce sont nos exigences qui se multiplient et ne cessent de s'élever. Nous avons besoin d'une école qui transmette à tous les élèves les savoirs et les compétences qui leur permettront de vivre dignement dans une société de plus en plus complexe, une école qui affirme que tout enfant peut apprendre, qui forme sans exclure, qui préfère le progrès de chacun à l'isolement des plus forts, l'exigence pour tous et pas juste une minorité de la population.

" La Finlande, le Canada ou le Japon nous montrent que les pays les plus performants sont aussi les plus égalitaires, dit la direction de l'étude PISA. Les élèves ont plaisir à apprendre, les relations avec les professeurs sont très bonnes, le climat est moins à la répression qu'à l'autodiscipline. Le redoublement est quasi inexistant, voire interdit, car considéré comme une facilité qui évite aux professeurs de prendre leurs responsabilités dans l'échec des élèves. ". Comment progresserons-nous en raisonnant à rebours du bon sens ?

Le redoublement : une remédiation trop tardive, mal ciblée, indifférenciée

Les deux projets proposent le redoublement systématique pour les élèves qui n'atteignent pas les objectifs en fin d'année. Pourtant, le redoublement à l'école primaire est une mauvaise mesure pour bien former les élèves. Toutes les études le démontrent. Que proposer d'autre ? D'une part, il convient de remédier au plus vite aux difficultés des plus faibles : ne pas attendre la fin d'une année pour faire refaire tout le programme (y compris ce qui est acquis…), être tout de suite et en permanence exigeant, efficace, motivant, et non une seule fois par an. D'autre part, les compétences ne s'acquièrent pas par empilements successifs, mais par toutes sortes de cheminements : les élèves consolident des bases encore fragiles en abordant des savoirs plus complexes. Il convient donc de différencier les enseignements pour permettre à chacun d'atteindre les objectifs en utilisant des méthodes variées - leçons, exercices, problèmes, projets, modules thématiques, appui personnalisé, tutorat, travail encadré, etc. - plutôt qu'une seule voie et un seul rythme, à prendre ou à laisser.

Le redoublement nuit à l'élève, car il l'installe dans l'échec et la résignation. Il lui fait quitter son groupe classe pour se retrouver avec de plus jeunes enfants, ce qui ne contribue pas à le tirer vers le haut. D'innombrables recherches en Suisse, en Europe, comme en Amérique montrent qu'au prix d'un effort régulier, l'élève progresse bien plus et ses compétences sont finalement meilleures s'il peut évoluer dans un cycle long plutôt que refaire complètement les années manquées. Les pays qui ont les meilleurs résultats à l'étude PISA ont renoncé au redoublement comme méthode de remédiation.

Les moyennes : un nivellement des résultats

La population et les familles s'inquiètent à juste titre de la manière d'évaluer. Elles demandent des mesures fiables et rigoureuses de la progression des élèves, des mesures qui les incitent à apprendre et informent clairement les parents. Or, les notes et les moyennes proposées dans l'initiative et le contre-projet vont exactement dans l'autre sens. D'abord, elles sont imprécises : toute moyenne masque des forces et des faiblesses ; elle empêche un diagnostic et une prise en charge pédagogique bien ciblés (" J'ai la tête bouillante et les pieds glacés ", dit le patient. " Ce n'est pas grave, répond son médecin, votre moyenne fait 37°2 ! "). Ce calcul mécanique décourage en outre les efforts, puisque les progrès de fin d'année sont annulés par les mauvais chiffres qui les ont précédés (" J'ai sauté 2 mètres 40 ! ", dit le sauteur en hauteur. " Je ne peux pas te sélectionner, rétorque son entraineur, tu ne passais que 2 mètres 15 au début de l'année…! ") Au total, les élèves faibles se résignent à échouer tandis que les plus futés bachotent pour réussir et se contentent du minimum puisqu'un trimestre bien noté permet de se reposer le reste de l'année.

Mal utilisés, les chiffres font le contraire de l'effet recherché : ils brouillent les repères, retardent les progrès, nivellent les résultats. C'est pour cela que les systèmes qui vont de l'avant développent des manières plus claires et plus exigeantes d'évaluer : bilans formatifs, épreuves critériées, dossiers et portfolios, entretiens réguliers avec les élèves et les parents. Comment les rejoindre si nous partons dans l'autre direction ?