Les effets pervers des moyennes

Le Temps, 13 juin 2006
Ivan Schmidt, Genève

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Lorsque j'ai pris connaissance de la décision du Grand conseil concernant le contre-projet opposé à l'initiative " pour le retour des notes à l'école primaire ", j'ai décidé de m'opposer aux deux textes en raison de mes convictions, mais également en me fondant sur mon expérience de maître d'informatique à l'Ecole d'Ingénieurs de Genève.

Tout d'abord, il convient de relever que, contrairement à ce que laisse penser le titre de l'initiative, nous ne voterons pas sur l'existence de notes à l'école primaire. En effet, les notes ont été rétablies pour tous les élèves à l'école primaire, indépendamment du résultat des votations du 24 septembre 2006. Le choix que nous aurons à faire ne portera donc que sur l'utilisation qui sera faite de ces notes, pour faire redoubler les élèves les plus faibles ou au contraire les aider et les inciter en permanence à apprendre.

Le principal point commun entre l'initiative et le contre-projet est l'existence de moyennes établies sur la base des notes attribuées à chaque travail, sanctionnées par le redoublement en fin d'année. De plus, toutes les décisions prises concernant la scolarité de chaque élève seront basées sur la-dessus. Or ce mécanisme est dangereux, quelle que soit la manière de calculer les moyennes, car il démotive les élèves en difficulté tout en tirant vers le bas le niveau des autres.

En effet, j'ai pu observer que les élèves qui font un début d'année très mauvais arrivent très vite à la conclusion que, quoi qu'ils fassent, ils n'ont plus aucune chance d'obtenir les moyennes nécessaires avant la fin de l'année scolaire. Ils en tirent alors la conclusion que tout effort est superflu, vu qu'ils répéteront le même programme l'année suivante, s'ils redoublent, ou qu'ils travailleront sur d'autres contenus. Ces élèves passent donc le reste de l'année scolaire à attendre les vacances d'été sans travailler, perdant ainsi de précieux mois dans leurs apprentissages.

Les élèves qui débutent leur année scolaire avec de bonnes notes, ont souvent tendance à faire un raisonnement différent pour aboutir au même résultat. En effet, la première réaction d'un élève obtenant la note de 5 pour un travail est de calculer qu'un 3 lui suffit au prochain travail, puisque la moyenne requise est de 4. Il se fixera donc comme objectif pour le travail suivant un niveau plus bas que celui qui est attendu de lui. Et comme il ne prendra pas la précaution de garder une marge de sécurité, le nombre de bons élèves en échec léger est très important à chaque fin d'année scolaire. Ce genre de phénomène est un gâchis, car il provoque l'échec d'un trop grand nombre d'élèves ayant pourtant un potentiel de réussite certain.

Ces effets pervers des moyennes ont comme conséquences pour la plupart des élèves un niveau atteint en fin d'année scolaire largement plus bas que ce qu'il aurait pu être. C'est la réalité que l'on peut observer au cycle d'orientation et après l'école obligatoire. Est-ce ce modèle que l'on veut voir appliquer à l'enseignement primaire, avec les mêmes stratégies d'élèves dès qu'ils ont les capacités de calculer leurs moyennes ? C'est pourtant bien ce qui risque d'arriver si on applique les mêmes principes, comme le demandent l'initiative et le contre-projet. Le plus absurde dans cette constatation est que les initiants s'accrochent à leur volonté de garder des notes pour tous les élèves car cela permet selon eux d'obtenir une école plus exigeante. Cette théorie erronée a d'ailleurs été reprise par la majorité du Grand Conseil dans la conception de son contre-projet.

Alors que l'évaluation actuellement pratiquée dans l'enseignement primaire consiste à traduire par une note le niveau atteint par chaque élève dans chaque discipline. Elle est donc suffisante pour savoir si les objectifs fixés sont atteints et, sinon, mesurer l'effort que doit fournir chaque élève pour les atteindre. Et le mécanisme des moyennes, avec ses effets nuisibles, n'est pas nécessaire pour cela. C'est pourquoi j'invite tou-te-s les électeurs/trices à voter deux fois non le 24 septembre pour conserver des notes qui poussent les élèves à obtenir les résultats les meilleurs possibles chaque année et, surtout, durant toute l'année.