Des élèves en difficulté ?

Post-Scriptum, 16 mai 2006
Françoise Joliat, Genève

---

Pendant longtemps et aujourd’hui encore, on a pensé que l’intelligence était un donné définitif à la naissance. Si des facteurs biologiques et génétiques existent certainement, on sait aussi maintenant que la qualité de l’entourage et des relations qui s’y nouent contribuent largement à l’évolution des capacités à apprendre et à penser et que l’intelligence est éducable. Ce constat donne une responsabilité d’autant plus grande à l’école, dont la tâche est d’amener tous les enfants à maîtriser un certain nombre de savoirs leur permettant de se représenter et de comprendre leur environnement et de résoudre les problèmes qu’ils y rencontrent.

Les contenus que l’école doit transmettre relèvent des connaissances scientifiques du moment, mais également de choix politiques reflétant les positions dominantes de celles et ceux qui sont au pouvoir : quels sont les savoirs utiles et comment s’y prendre pour les faire acquérir ?

Dans cette situation, certains élèves sont plus égaux que d’autres.

Plus égaux parce qu’à leur entrée à l’école, ils sont déjà des familiers de la culture scolaire et des modes de penser nécessaires pour comprendre et s’approprier la lecture et la culture véhiculée par les textes scolaires, la mathématique et la réalité sur laquelle portent les problèmes à résoudre ... alors que les autres découvrent à l’école un monde de non-sens.

Plus égaux parce qu’ils ont une liberté d’esprit plus propice à l’apprentissage, alors que certain-e-s de leurs camarades sont peu préparés, peu disponibles pour la curiosité intellectuelle.

Plus égaux parce les interactions que les premiers ont expérimentées jusquel à leur ont donné suffisamment de confiance en eux, d’énergie, d’audace pour risquer l’inconnu, alors que les autres peu sûrs d’eux, angoissés, se cramponnent aux repères péniblement établis et n’osent pas apprendre.

La pensée dominante pousse tout naturellement à envisager les moins égaux dans le rôle d’élèves en difficulté et à leur faire porter la responsabilité de leur échec. Ne parvenant pas à comprendre ce qu’on attend d’eux, ni la signification des tâches qu’on leur propose, ils ne parviennent pas à répondre de manière satisfaisante aux standards scolaires. Ce sont leurs manques qui sont alors mis en évidence, jamais leurs compétences personnelles qui ne leur donnent pas les bons moyens pour se couler dans le moule prescrit. Ces élèves-là sont alors rapidement aspirés dans une spirale de l’échec.

Ce qui renforce les difficultés et l’échec :

- une école qui ne propose que l’entraînement de savoirs abstraits, dits de base, déconnectés de toute réalité et ainsi vidés de leur sens.

- une école qui sanctionne par des notes considérées comme ’’vraies’’ parce qu’elles sont fonction de standards absolus (6 fautes = 0), mais dont la signification reste opaque et qui ne prennent en considération ni l’élève, ni sa manière de faire.

- le redoublement ou certaines mesures d’aide : on pense que pour aider ces élèves, il suffit de leur faire répéter ce qu’ils n’ont pas réussi à comprendre, de faire un peu plus de la même chose. Ceux-ci se retrouvent alors confrontés aux mêmes contenus, aux mêmes modes de faire qu’ils ne parviennent pas mieux à maîtriser. Pour les soulager, on en arrive à diminuer les exigences à leur égard. Ils finissent donc par se trouver confirmés dans leur incapacité à réussir, dans une mésestime tragique d’eux-mêmes, déresponsabilisés. Ils n’ont guère d’autre ressource que de se réfugier dans une dépendance totale à l’adulte ou dans la rébellion pour faire reconnaître leur force ailleurs. Il s’agit donc de mesures qui ne changent strictement rien à la situation des élèves en difficulté parce qu’elles les enfoncent dans leur "faute" et que leurs compétences personnelles ne sont toujours ni reconnues, ni prises en compte.

Ce qui contribue à la réussite :

- une école qui n’est pas basée sur la sélection des élèves conformes et l’exclusion des autres, mais sur la réussite pour toutes et tous ;

- une structure scolaire organisée en cycles d’apprentissage permettant de diversifier les prises en charge et les moyens d’enseignement ;

- une école dans laquelle l’élève et son devenir sont l’essentiel :

Pour tout cela et parce que je crois à une école qui considère l’échec, l’exclusion et la sélection sociale comme intolérables et qui refuse la résignation fataliste à un ordre social établi, je voterai NON à l’initiative de l’ARLE et NON au contre-projet des partis de la droite, qui ne proposent que des mesures qui renforcent l’échec.