Quand on veut noyer l’école on dit que le niveau baisse

Tribune de Genève, 28 juin 2005
Pierre-Alain Wassmer, Genève

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Utiliser PISA international pour juger l'école genevoise n'a pas de sens, car l'étude PISA sur les cantons est différente de PISA international: dans PISA international, on teste les jeunes de 15 ans, scolarisés ou non, tandis que dans l'enquête des cantons on teste les élèves de 9e année. 

En principe, c'est vrai, on est en 9e à l'âge de 15 ans. La différence c'est le «en principe», car en pratique un certain nombre d'élèves ne passe jamais par la 9e année. C'est le cas notamment pour les élèves qui ont redoublé une année, puis commencent un apprentissage à 15 ans. Ces élèves sont généralement parmi ceux qui ont les plus mauvais résultats scolaires, ce qui améliore le résultat du canton qui a beaucoup de redoublements et beaucoup d'élèves en apprentissage. L'amélioration a lieu pour le groupe des élèves les moins bons. Et c'est sur ce groupe qu'on observe des différences entre les cantons romands.

Et même, si on veut se référer à PISA, il ne faut pas dramatiser, car PISA juge les élèves suisses plutôt bons: par rapport au premier rang international, selon la notation traditionnelle, Fribourg aurait 5,95 et Genève aurait 5,65 (Pierre-Philippe Bugnard, Universités de Fribourg et Neuchâtel).

Dire ensuite que «le niveau a baissé» est une tarte à la crème que répètent depuis belle lurette certains enseignants qui voudraient que leurs élèves arrivent déjà instruits dans leur classe (voir à ce sujet Christian Baudelot et Roger Establet. Le niveau monte. Réfutation d'une vieille idée concernant la prétendue décadence de nos écoles. Paris: Seuil, coll. Points Actuels, 1989). Chacun juge en fonction de ses souvenirs… mais la mémoire baisse.

La logique présentée dans l'article est assez claire: le cycle d'orientation adapte son niveau au primaire, le collège adapte son niveau au cycle d'orientation et «en bout de chaîne, les patrons devront baisser leurs exigences» (dixit).

Dans la réalité c'est exactement le contraire qui se passe: on a de moins en moins d'apprentissages en entreprise et les patrons recrutent des apprentis de mieux en mieux formés puisqu'il faut maintenant avoir fait deux ans de postobligatoire (si possible au collège) pour obtenir une place d'apprentissage.

Quel est le résultat? Les élèves qui restent dans les filières généralistes sont ceux qui visent des études supérieures (les meilleurs) et ceux qui n'ont pas trouvé d'apprentissage (les moins bons). Ce sont ces derniers qu'on accuse de «faire baisser le niveau» de l'école. Et pourtant ce sont ceux-là dont il faut s'occuper en priorité, ceux qui risquent de quitter l'école sans un bagage minimum, qui risquent d'être exclus d'un marché du travail de plus en plus compétitif. Non, les patrons n'ont pas dû «baisser leurs exigences», au contraire ils en demandent toujours plus, pour des apprentissages et des emplois toujours plus rares.

Dans tous les cas une chose est sûre, c'est qu'on ne peut pas former et surtout sélectionner des enfants du primaire ou du cycle d'orientation en fonction des métiers qu'ils auront – peut-être – quand ils seront adultes, parce qu'on éduque les élèves pour de multiples autres raisons qui ne sont pas économiques. Notamment pour qu'ils s'intègrent au sein de la collectivité et deviennent des citoyens responsables. Ne noyons pas l'école sous des critiques injustes, nous pourrions couler avec elle.