Nous demandons une école formatrice pour tous

Lettre envoyée à la presse genevoise le 22 juin 2005 | version pdf
Marcel Crahay, Mitsuko Kondo Oestreicher et Ivan Schmidt, Genève

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La Suisse entière débat de son école. C'est compréhensible. Dans un monde de plus en complexe, de plus en plus exigeant, comment ne pas s'inquiéter de ce qu'apprennent nos enfants ? L'enjeu est important : il devrait nous inciter à raisonner rigoureusement, sans préjugé. Certains crient très fort que revenir en arrière est la solution à tous les problèmes. Nous pensons le contraire.

Les médias et le monde politique se sont emparés des résultats des enquêtes PISA. Et voilà que des comparaisons sans nuance servent à discuter du retour des moyennes chiffrées et du redoublement annuel dans l'école genevoise. À coup de graphiques trompeurs, les journaux décernent un " bonnet d'âne " à l'institution. Soyons clair d'emblée : cette façon de procéder est injuste pour les enseignants et les élèves. En outre, elle passe à côté de l'essentiel des leçons que l'on peut tirer de la recherche en éducation.

Que nous apprend cette recherche ?

Elle nous montre globalement que les pays, les systèmes et les établissements qui réussissent le mieux visent des objectifs élevés pour tous par une prise en charge immédiate et ciblée des difficultés scolaires. La Finlande est devenue le symbole de ce qui est un fait majeur : les systèmes éducatifs les plus efficaces sont ceux qui garantissent à tous un socle de savoirs et de compétences.

On peut donner deux interprétations de cette observation essentielle. La première consiste simplement à reconnaître qu'il est possible d'avoir une école à la fois efficace et solidaire. La seconde, retenue de plus en plus par les experts, consiste à affirmer que, pour être efficace, l'école doit tirer les plus faibles vers le haut. Autrement dit, pour faire monter le niveau, il faut s'occuper avant tout de faire apprendre - et non d'éliminer - ceux qui n'ont pas atteint les objectifs fixés.

Pour le citoyen, le message est clair : au nom du bien commun, il est en droit de réclamer une école formatrice pour tous les élèves. Une école qui s'occupe d'enseigner et non de classer, de rassembler et non de séparer, de reprendre chaque jour - et pas une fois par an - la leçon mal comprise par certains enfants.

Il n'est plus possible aujourd'hui d'ignorer les solutions adoptées depuis à peu près vingt ans par les pays scandinaves : les mêmes objectifs pour tous, une évaluation formative permettant à chaque élève de situer sa progression et à l'enseignant d'orienter son action, le soutien ciblé aux élèves en difficulté, une structure unique - sans redoublement ni filières séparées - jusqu'à 15 ou 16 ans c'est-à-dire l'école obligatoire. Si le monde politique choisit de négliger ces observations, il faudrait au minimum qu'il s'en explique.

Pour nous, il va de soi que les citoyens attendent des élu-e-s qu'ils donnent la priorité aux questions cruciales. Comment promouvoir une école où tous les enfants - ceux dont l'environnement est favorable ou plus précaire, ceux qui viennent d'ici ou d'ailleurs - bénéficient des meilleures conditions pour apprendre à lire et écrire, compter et mesurer, comparer et analyser? En définitive, nous faisons le pari que le citoyen souhaite un recentrage sur la seule vraie question : comment rendre l'école efficace pour tous ?